Le nouveau chef d’état-major de la Marine, l’amiral Bernard Rogel, était hier en visite à Toulon. À cette occasion, il nous a accordé un entretien exclusif.
Promu chef d’état-major de la Marine (CEMM) le 12 septembre dernier, l’amiral Bernard Rogel avait choisi Toulon pour sa première sortie officielle : la prise de commandement de l’Euromarfor par la France. Deux semaines plus tard, l’amiral Rogel était de retour dans le port militaire. Mettant à profit cette première escale de ce qui est communément appelé « la tournée des popotes », le numéro un de la Royale a tenu à dire aux marins qu’ils « pouvaient être fiers de ce qu’ils ont réussi à faire » sur tous les théâtres d’opération. Dans la période de grandes transformations que connaît l’armée, il a également insisté sur le fait qu’il « compte sur [eux] pour mener à bien toutes les réformes que l’on se doit de faire aboutir. »
Faut-il être sous-marinier pour devenir chef d’état-major de la Marine ? Votre prédécesseur, l’amiral Forissier, faisait aussi partie de la « caste » de la sous-marinade…
Vous oubliez qu’avant mon prédécesseur, le chef d’état-major de la Marine n’était pas un sous-marinier ! Le macaron importe peu. La Marine est une. Et toutes ses composantes sont importantes.
Quel est l’état actuel des forces sous-marines dont on sait peu de chose?
On en parle moins tout simplement parce que la nature des bâtiments et de leurs missions impose une nécessité de discrétion. Je tiens seulement à signaler que les sous-marins ont fait du bon travail de reconnaissance et d’anticipation en Libye. Et le moral est bon.
Les futurs sous-marins nucléaires d’attaque seront aménagés pour accueillir des femmes à leur bord. La Marine française est-elle prête à tenter l’expérience?
La féminisation est l’une des réflexions que l’on se doit d’avoir. Quand j’étais commandant en second de la frégate « Tourville », j’ai contribué à féminiser l’équipage. J’ai vu des résistances mais, au final, tout le monde a été ravi du résultat. On ne doit pas faire de ce sujet un dogme mais mener une réflexion dépassionnée.
Revenons à votre prédécesseur. Il avait déclenché un début de polémique en rendant publiques ses inquiétudes concernant l’effet des opérations libyennes sur les ressources de la marine. Pensez-vous que c’est le rôle d’un chef d’état-major d’oser contrer les politiques qui, souvent, n’entendent pas tout des subtilités de la stratégie ?
Je ne suis pas persuadé qu’il s’agissait là d’une polémique. Notre rôle est de fournir des unités préparées et équipées au Chef d’état-major des armées (CEMA). Si l’on a des difficultés à remplir notre mission, il faut attirer l’attention du CEMA. C’est à lui que revient de choisir là où on met les priorités. Une armée sert à servir les ambitions d’un pays, dans une certaine réalité budgétaire. Il n’est pas de notre ressort de décider si on doit ou non aller quelque part. En revanche, si l’on n’y arrive pas, notre devoir est de le dire.
L’opération Harmattan a mis en exergue les limites à ne posséder qu’un seul porte-avions (PA). On arrive en 2012, l’année du choix selon le président de la République. Êtes-vous favorable à la construction d’un second PA?
On a des ambitions de sécurité et de défense pour notre pays et un contexte financier mondial assez délicat. Dans les décisions à venir, il faudra bien peser entre ce qu’on aimerait et ce qu’on pourra avoir. Le CEMM aimerait sans doute avoir un deuxième PA, mais le CEMM doit avoir conscience des réalités budgétaires pour ne pas déséquilibrer les comptes de la France. Si un deuxième PA signifie sacrifier un pan de notre défense, il faudra être très vigilant. Je crois beaucoup au concept de boîte à outils dans la Marine – la polyvalence de nos bâtiments. Si on n’a que des marteaux pour taper fort, ça ne va pas résoudre tous les problèmes.
La Marine a-t-elle un format adapté pour remplir toutes les missions qu’on lui demande d’effectuer?
Le format actuel correspond aux ambitions de sécurité et de défense définies dans le Livre blanc et aux capacités budgétaires dont la France dispose pour ses armées. Si je devais noter un axe de progrès, ce serait peut-être la fonction « connaissance et anticipation » : disposer rapidement des informations dont nous avons besoin pour mener à bien nos missions. Mais ça doit se faire en interarmées et avec nos partenaires de l’Alliance Atlantique et de l’Europe.
Les vieilles coques s’entassent dans les rades de Toulon et de Brest. Est-ce un dossier que vous comptez prendre en main ?
C’est un dossier déjà pris en main, que nous allons maintenant prendre à bras-le-corps ! Il faut arriver à trouver des solutions pour déconstruire correctement, avec des délais les plus courts possible. Les vieilles coques posent des problèmes d’occupation des quais et, au fur et à mesure du temps, elles ont aussi tendance à se déconstruire d’elles-mêmes, ce qui n’est jamais bon. [Le préfet maritime Yann Tainguy intervient] Maintenant, on sait ce qu’il faut faire et, avec Brest, nous avons lancé un certain nombre d’appels d’offres dont nous aurons les résultats avant l’année prochaine. [L’amiral Rogel reprend la parole] Ces épaves ont porté un nom un jour et on est souvent encore sentimentalement attaché à elles. Mais il faut être froidement réaliste.
Le débat actuel sur le nucléaire peut-il avoir une influence sur les choix technologiques de la Marine? Sur la présence des réacteurs militaires quasiment en centre-ville à Toulon?
Tout événement dramatique, comme Fukushima, rentre dans notre réflexion, par ailleurs permanente. Et nous serons attentifs à toutes les propositions du nucléaire civil pour en retirer le maximum de retour d’expérience. Mais il faut répéter que la puissance des réacteurs nucléaires de nos bâtiments est bien moindre que celle d’un réacteur de centrale, que ceux-ci se trouvent également dans des bateaux conçus pour résister à des agressions.
Le trafic maritime civil s’est beaucoup développé dans la rade ces dernières années. Cela pourrait-il poser un problème de cohabitation avec la Marine?
Je n’ai pas le sentiment que le port militaire soit en train de s’étendre. Je ne perçois pas non plus de tensions entre la Marine et les civils. [Le préfet maritime Yann Tainguy intervient] Il y a des projets en cours pour adapter nos infrastructures en prévision de l’arrivée de nouvelles frégates et sous-marins. Le port civil voit ses activités croître et, en temps que citoyen, j’y vois quelque chose de positif. Seulement, il ne faut pas que cela amène le moindre problème de sûreté.
En tant que « locataire » privilégié de l’hôtel de la Marine, que souhaiteriez-vous que devienne ce bâtiment historique après votre départ pour le « Pentagone » français?
Je n’ai pas d’état d’âme à quitter l’hôtel de la Marine et je n’ai pas senti de résistance au sein de la marine. Ce déménagement, prévu en 2014, s’inscrit dans le mouvement volontariste de regroupement des états-majors des armées à Balard. Derrière, il y a une réalité fonctionnelle des armées modernes. Maintenant, d’un point de vue plus personnel, les propositions faites par le Président Giscard d’Estaing (1) me satisfont.
Propos recueillis par Matthieu Dalaine et Pierre-Louis Pagès
1. Dans son rapport rendu public en début de semaine dernière, Valéry Giscard d’Estaing recommande de garder le prestigieux hôtel de la Marine dans le giron de l’État et de confier au Louvre sa transformation, notamment en « galerie du trésor français ».
Promu chef d’état-major de la Marine (CEMM) le 12 septembre dernier, l’amiral Bernard Rogel avait choisi Toulon pour sa première sortie officielle : la prise de commandement de l’Euromarfor par la France. Deux semaines plus tard, l’amiral Rogel était de retour dans le port militaire. Mettant à profit cette première escale de ce qui est communément appelé « la tournée des popotes », le numéro un de la Royale a tenu à dire aux marins qu’ils « pouvaient être fiers de ce qu’ils ont réussi à faire » sur tous les théâtres d’opération. Dans la période de grandes transformations que connaît l’armée, il a également insisté sur le fait qu’il « compte sur [eux] pour mener à bien toutes les réformes que l’on se doit de faire aboutir. »
Faut-il être sous-marinier pour devenir chef d’état-major de la Marine ? Votre prédécesseur, l’amiral Forissier, faisait aussi partie de la « caste » de la sous-marinade…
Vous oubliez qu’avant mon prédécesseur, le chef d’état-major de la Marine n’était pas un sous-marinier ! Le macaron importe peu. La Marine est une. Et toutes ses composantes sont importantes.
Quel est l’état actuel des forces sous-marines dont on sait peu de chose?
On en parle moins tout simplement parce que la nature des bâtiments et de leurs missions impose une nécessité de discrétion. Je tiens seulement à signaler que les sous-marins ont fait du bon travail de reconnaissance et d’anticipation en Libye. Et le moral est bon.
Les futurs sous-marins nucléaires d’attaque seront aménagés pour accueillir des femmes à leur bord. La Marine française est-elle prête à tenter l’expérience?
La féminisation est l’une des réflexions que l’on se doit d’avoir. Quand j’étais commandant en second de la frégate « Tourville », j’ai contribué à féminiser l’équipage. J’ai vu des résistances mais, au final, tout le monde a été ravi du résultat. On ne doit pas faire de ce sujet un dogme mais mener une réflexion dépassionnée.
Revenons à votre prédécesseur. Il avait déclenché un début de polémique en rendant publiques ses inquiétudes concernant l’effet des opérations libyennes sur les ressources de la marine. Pensez-vous que c’est le rôle d’un chef d’état-major d’oser contrer les politiques qui, souvent, n’entendent pas tout des subtilités de la stratégie ?
Je ne suis pas persuadé qu’il s’agissait là d’une polémique. Notre rôle est de fournir des unités préparées et équipées au Chef d’état-major des armées (CEMA). Si l’on a des difficultés à remplir notre mission, il faut attirer l’attention du CEMA. C’est à lui que revient de choisir là où on met les priorités. Une armée sert à servir les ambitions d’un pays, dans une certaine réalité budgétaire. Il n’est pas de notre ressort de décider si on doit ou non aller quelque part. En revanche, si l’on n’y arrive pas, notre devoir est de le dire.
L’opération Harmattan a mis en exergue les limites à ne posséder qu’un seul porte-avions (PA). On arrive en 2012, l’année du choix selon le président de la République. Êtes-vous favorable à la construction d’un second PA?
On a des ambitions de sécurité et de défense pour notre pays et un contexte financier mondial assez délicat. Dans les décisions à venir, il faudra bien peser entre ce qu’on aimerait et ce qu’on pourra avoir. Le CEMM aimerait sans doute avoir un deuxième PA, mais le CEMM doit avoir conscience des réalités budgétaires pour ne pas déséquilibrer les comptes de la France. Si un deuxième PA signifie sacrifier un pan de notre défense, il faudra être très vigilant. Je crois beaucoup au concept de boîte à outils dans la Marine – la polyvalence de nos bâtiments. Si on n’a que des marteaux pour taper fort, ça ne va pas résoudre tous les problèmes.
La Marine a-t-elle un format adapté pour remplir toutes les missions qu’on lui demande d’effectuer?
Le format actuel correspond aux ambitions de sécurité et de défense définies dans le Livre blanc et aux capacités budgétaires dont la France dispose pour ses armées. Si je devais noter un axe de progrès, ce serait peut-être la fonction « connaissance et anticipation » : disposer rapidement des informations dont nous avons besoin pour mener à bien nos missions. Mais ça doit se faire en interarmées et avec nos partenaires de l’Alliance Atlantique et de l’Europe.
Les vieilles coques s’entassent dans les rades de Toulon et de Brest. Est-ce un dossier que vous comptez prendre en main ?
C’est un dossier déjà pris en main, que nous allons maintenant prendre à bras-le-corps ! Il faut arriver à trouver des solutions pour déconstruire correctement, avec des délais les plus courts possible. Les vieilles coques posent des problèmes d’occupation des quais et, au fur et à mesure du temps, elles ont aussi tendance à se déconstruire d’elles-mêmes, ce qui n’est jamais bon. [Le préfet maritime Yann Tainguy intervient] Maintenant, on sait ce qu’il faut faire et, avec Brest, nous avons lancé un certain nombre d’appels d’offres dont nous aurons les résultats avant l’année prochaine. [L’amiral Rogel reprend la parole] Ces épaves ont porté un nom un jour et on est souvent encore sentimentalement attaché à elles. Mais il faut être froidement réaliste.
Le débat actuel sur le nucléaire peut-il avoir une influence sur les choix technologiques de la Marine? Sur la présence des réacteurs militaires quasiment en centre-ville à Toulon?
Tout événement dramatique, comme Fukushima, rentre dans notre réflexion, par ailleurs permanente. Et nous serons attentifs à toutes les propositions du nucléaire civil pour en retirer le maximum de retour d’expérience. Mais il faut répéter que la puissance des réacteurs nucléaires de nos bâtiments est bien moindre que celle d’un réacteur de centrale, que ceux-ci se trouvent également dans des bateaux conçus pour résister à des agressions.
Le trafic maritime civil s’est beaucoup développé dans la rade ces dernières années. Cela pourrait-il poser un problème de cohabitation avec la Marine?
Je n’ai pas le sentiment que le port militaire soit en train de s’étendre. Je ne perçois pas non plus de tensions entre la Marine et les civils. [Le préfet maritime Yann Tainguy intervient] Il y a des projets en cours pour adapter nos infrastructures en prévision de l’arrivée de nouvelles frégates et sous-marins. Le port civil voit ses activités croître et, en temps que citoyen, j’y vois quelque chose de positif. Seulement, il ne faut pas que cela amène le moindre problème de sûreté.
En tant que « locataire » privilégié de l’hôtel de la Marine, que souhaiteriez-vous que devienne ce bâtiment historique après votre départ pour le « Pentagone » français?
Je n’ai pas d’état d’âme à quitter l’hôtel de la Marine et je n’ai pas senti de résistance au sein de la marine. Ce déménagement, prévu en 2014, s’inscrit dans le mouvement volontariste de regroupement des états-majors des armées à Balard. Derrière, il y a une réalité fonctionnelle des armées modernes. Maintenant, d’un point de vue plus personnel, les propositions faites par le Président Giscard d’Estaing (1) me satisfont.
Propos recueillis par Matthieu Dalaine et Pierre-Louis Pagès
1. Dans son rapport rendu public en début de semaine dernière, Valéry Giscard d’Estaing recommande de garder le prestigieux hôtel de la Marine dans le giron de l’État et de confier au Louvre sa transformation, notamment en « galerie du trésor français ».